« Electrosecoué » : Portrait de Matthias Moser, électro-hypersensible (EHS) en Alsace - Libération - 07/02/2009

Matthias Moser. Cet Allemand de 39 ans erre en Alsace pour fuir le monde moderne et les ondes électromagnétiques qui le rendent malade.



Pour rejoindre un électrosensible, il faut s’éloigner du monde. Se laisser conduire jusqu’à un rond-point au milieu de la nationale 83. Changer de véhicule, sauter dans un camion blindé d’aluminium «pour contrer les ondes de téléphonie mobile» selon sa conductrice, gant éponge humide plaqué sur le front. Ensuite, marcher le long de voies ferrées désaffectées à Aspach, village sommeillant entre Mulhouse et Colmar. Après 300 mètres, quelques arbres faméliques abritent une cabane de chantier trouée. C’est ici que vit Matthias Moser, une des victimes les plus rocambolesques de l’intolérance aux ondes.

Grand gaillard, chemise de bûcheron ouverte, ce quadra allemand a l’air tassé des hommes esquintés. Depuis quinze ans, il vit un calvaire dans le monde urbanisé. Car Matthias Moser ne peut pas dormir dans une maison raccordée au réseau électrique, ni rester à proximité d’antennes relais ou de lignes à haute tension. Autant dire qu’il est tricard sur 99 % du territoire français. Lui et ses compagnons d’infortune, les électrosensibles, souffrent de brûlures à l’oreille, de nausées, de migraines terrassantes, de faiblesse, d’angoisses… Matthias semble avoir écopé de la forme la plus extrême du syndrome, au point de ne pouvoir approcher un aspirateur en marche ou un sèche-cheveux. Ce funambule campe donc à la lisière de nos territoires quadrillés par des réseaux en tous genres (WiFi, wimax…). En Suède, pays où le syndrome de l’électrosensibilité est reconnu, ils seraient 300 000 à en souffrir. Soit 3 % de la population. En France, le syndrome est jugé inexistant par le corps médical.

Dans sa roulotte ouverte au vent, Matthias est aussi un SDF. Il vit dans 6 m2 au milieu de tas de cartons, de valises, de papiers, de packs de jus de fruits… Pas d’électricité, ni d’eau, ni de réchaud. Et au milieu de son abri, merveille encombrante et irréelle, un piano désaccordé, glané chez Emmaüs.

Matthias parle parfaitement français, il a grandi à 3 kilomètres de la frontière franco-allemande, à Weilamrhein, dans un HLM au dixième étage. Il préfère ne pas s’attarder sur son enfance et encore moins sur ses parents qui ont ruiné sa vie «avec leur ignorance», persifle-t-il. Il a coupé les ponts depuis des années, y compris avec son frère cadet Daniel. Comme nombre de petits garçons, il adorait le foot mais aussi le volley-ball, le ski de fond, les randonnées en Forêt-Noire. Dès l’âge de 12 ans pourtant, sa santé le lâche. Les allergies se déclenchent en rafale: aux abeilles, aux moustiques, aux pollens, à la fumée de cigarette. «Quand nous rentrions des vacances d’été avec mes parents, nous allions chez le médecin qui s’écriait: "Ah! Encore les frères Moser! " Tous les automnes, au changement de saison, j’enchaînais les bronchites.» Mêlant les souvenirs pointus aux évocations confuses, il s’arrête sur des détails invérifiables, mélange la chronologie de sa vie, rectifie, hésite, ne se souvient plus. Funambule dans ses pensées, il raisonne en obsessionnel, borderline.

En 1991, ses parents déménagent dans une maison, à quelques mètres de pylônes à haute tension. L’électrosensibilité se déclenche en 1993. Il a 24 ans. Il regardait la télévision quand il a ressenti de violentes douleurs au crâne. «Au cours des premières semaines, je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. J’avais peur parce que les symptômes s’accéléraient et s’intensifiaient. Je ne savais pas quoi faire.» A l’époque, les ondes nocives ne sont pas un sujet de préoccupation. Ses douleurs indiffèrent ses parents. Il part habiter chez une grand-mère qui vit à l’écart des fameux pylônes. Son état empire. «Je regardais la mort me regarder.» En 1996, il prend alors la décision d’«entrer en Nature», comme le héros d’Into the Wild, les douleurs physiques en plus. Le brouillard d’ondes qui nimbe ses contemporains est trop douloureux à supporter. Il installe un tipi au sud de la Forêt-Noire. «J’ai fait comme le docteur Kneipp qui avait prouvé les bienfaits de l’eau glacée en plongeant chaque jour dans le Danube. Installé à côté d’une cascade, je m’y suis baigné deux fois par jour pendant trois mois. J’ai fortifié mon corps et repoussé la mort.» En 2005, il débarque en France dans une vieille Opel et se déplace d’une zone blanche à l’autre avant que la voiture rende l’âme. Passionné par l’histoire, la géographie et la théologie, Matthias se destinait à devenir professeur des écoles. C’était sans compter les symptômes qui ne lui accordent aucun répit. «Tout ce que je souhaitais, c’était enseigner dans un petit village allemand.» Il a tiré un trait sur son passé et n’ose rêver à demain. «Mon avenir dépend entièrement des autres. Je survivrai si j’obtiens une aide financière, un petit boulot, un terrain en zone blanche… Pour l’instant, je vis avec 30 euros par semaine.»

Depuis l’été 2008, il ne perçoit plus son RMI allemand et n’a aucune ressource. Il est isolé, mais pas seul. Des amis se relaient auprès de lui, comme François qui l’a découvert sous une bâche un jour de pluie, «il était allongé sur le sol détrempé». Ce tailleur de pierres tombales prend Matthias sous son aile et lui offre son garage pour abri. Refus : le lieu est traversé par les ondes. «Quand il passe prendre une douche à la maison, il ne peut pas rester plus d’une heure. Sinon, il est mal.» L’urgence : dégotter un terrain non couvert par les antennes relais, sans ondes électromagnétiques, ni pylônes. Autant dire un lieu rare.

Lors de notre rencontre, après deux heures au soleil, sa peau fine et fragile vire à l’écrevisse. Il se cache derrière un arbre et enfile une casquette rembourrée d’aluminium. «Les gens ne peuvent pas comprendre», lâche-t-il en croisant une paire d’yeux incrédules.

C’est précisément parce qu’ils ne comprennent pas, ou trop bien, que Matthias a été interné de force à l’hôpital psychiatrique de Rouffach. Il faisait - 13°C, le maire de Bollwiller a craint l’hypothermie fatale. Une dizaine de gendarmes sont venus le cueillir dans son champ. Mais l’enfermement dans le bâtiment bourré d’équipements et couvert par les antennes-relais a déclenché une batterie de symptômes. «Il serait mort si on ne l’avait pas sorti de là», affirment ceux qui l’entourent. A Rouffach, aucun commentaire. «Ils ne l’auraient pas laissé sortir s’ils avaient eu un doute», avance le docteur Abt qui a rédigé un certificat à Matthias l’an dernier «pour qu’on prenne en compte la douleur des électrosensibles».

Ce profond croyant vit donc un enfer. Mais cela n’ébranle pas sa foi. «La croyance est orientée vers Dieu, elle n’est pas déterminée par les circonstances de la vie.» D’après lui, pourquoi est-il mis à l’épreuve? «Pour informer les gens : avec un corps aussi réactif, je me sens comme une antenne vivante.» Et de se transformer en boussole pour établir des cartes de rayonnements en fonction de ses symptômes. Il en tend une, couverte de ronds concentriques dessinés au feutre…

«Vous savez, sourit-il en prenant la pose. Vous vous dites que j’ai une vie horrible, mais en réalité, chaque journée passée sans douleur est une victoire. Et cela suffit à me rendre heureux.»

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Source : http://www.liberation.fr/societe/0101317731-electrosecoue

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Voir également :

- « Electro... choqué » - Le Canard Enchaîné - 21/01/2009

- "Un maire alsacien envoie un Allemand électro-sensible à l'asile" - Le Monde - 22/01/2009

- ElectroHyperSensibilité – MATTHIAS sauvé des PSYS - Lettre ouverte de Robin des Toits - 21/01/2009

- Electrosensibilité > Réseau EHS


- Téléphonie mobile et Santé > Ce qu'il faut savoir

- Nos revendications

- L'OMS reconnaît-elle l'Electro-Hypersensibilité aux champs électromagnétiques ?

- L'électrosensibilité - 'un handicap fonctionnel' par le Pr Olle JOHANSSON - 2006

- Résolutions et appels de médecins ou d'experts


- Procès d'une électrosensible à Colmar : i>Télé - France 3 - France Bleu Alsace - 03/11/2008

Robin Des Toits
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